Par Claire Durocher
En un temps lointain, effacé de la mémoire des hommes, naissait une armoire en bois. Elle ne s’attendait pas à un si long et captivant voyage à travers le Canada. L’Armoire au charme d’antan commence son récit dans la maison de Catherine Larivière à Saint-Benoît, là où elle a été conçue.

Un matin dans la vallée, un vaillant paysan décide de construire une armoire pour cette dame. Elle prend soin de la maisonnée avec tant d’ardeur. L’homme lui façonne une armoire avec un design digne du plus grand art québécois de l’époque.
Les arbres de la propriété, par le génie de l’artisan, deviennent des planches de chêne et de pin. Elles sont habilement assemblées et colorées avec du jus de betterave. L’homme est astucieux, il couronne son ouvrage d’un plateau spacieux pour y faire lever les pains les jours de boulange. L’odeur de levain donne faim.

Du berceau de sa création, l’Armoire est transportée jusqu’au village de Saint-André-d’Argenteuil. Le déplacement est si calme à travers les prés verdis que même une petite souris s’est endormie sur sa deuxième tablette. Le trajet prend fin dans le foyer d’une famille aimante.
Années après années, ses panneaux de bois gardent précieusement les secrets des ustensiles de cuisine et des doux mets mijotant sur le feu. La vie suit son cours.
Un jour, le destin la mène dans la communauté voisine à Lachute. Elle embrasse une nouvelle destinée en devenant l’armoire à jouets de joyeux bambins. Ils y cachent leurs trésors, déploient leurs rêves. Des rires enchanteurs résonnent à chaque ouverture de ses portes.

Le fil de sa saga est loin d’être achevé. Par maintes routes et chemins, l’Armoire accompagne la famille vers les contrées lointaines de l’Ontario. Un entrepôt en forme de voûte devient son abri à Kenora, juste à la frontière du Manitoba.
Elle entend les murmures des arbres et les échos du Lake of the Woods au coeur de cette nature encore sauvage. Les saisons dansent et tournoient au rythme du temps.
Puis, vient le temps où elle est encore déplacée. Cette fois, dans un quartier urbain où les quelques maisons s’enlignent en bordure de la forêt. La rue laisse venir à elle les ours curieux cherchant leurs repas parmi les baies sauvages des arrière-cours.
La route ne s’arrête jamais. L’Armoire reprend sa route vers le Nord de l’Ontario dans la ville de Timmins. Elle revêt à nouveau son rôle d’armoire à jouets, gardienne des trésors enfantins. Elle est témoin de fêtes d’anniversaires, de jeux de bambins et de rêves assoupis dans l’ombre de ses tablettes.

Son périple dans le Grand Nord s’achève. Elle revient vers le sud dans la région de Lanaudière au Québec. Surprise et quelque peu triste, voire mélancolique de s’apercevoir que les enfants de son Empire sont devenus grands. Ils ont quitté le nid familial. Elle demeure confiante pour son avenir sachant combien elle a été choyée depuis sa création.

Son nouveau rôle se dessine, un appareil à sons est inséré dans son ventre. Maintenant, tous les jours, elle vibre harmonieusement aux mélodies de musiciens et chanteurs. Habituée au rythme des conifères balançant leurs branches à l’arrivée des petits mésanges, ces nouveaux sons la captivent. L’Armoire se dit qu’elle est capable, elle aussi, de projeter des sons de ses entrailles pour charmer un auditoire!

La famille a la bougeotte. Encore une fois, l’Armoire se retrouve sur les routes asphaltées. Elle est intriguée par sa destination improvisée : une semi-remorque à Saint-André-d’Argenteuil. Elle s’y emmitoufle durant tout un hiver. Seule, sans ses êtres chers, elle médite sur son existence du Sud au Nord et encore au Sud. Elle se sent chanceuse d’avoir séduit des personnes au point de jouir de leur fidélité. Elle a toujours sa place dans leur quotidien.
Un jour, le cercle de sa vie la ramène dans son village natal à Saint-Benoît. Là même où les Patriotes avaient séjourné lors de la rébellion de 1837.
L’Armoire ne reste pas longtemps au village. Elle est déjà prête à écrire un nouveau chapitre.
Dans quelques lunes, elle reprendra son rôle bienveillant auprès de la nouvelle génération des descendants Larivière/St-Pierre. À la fin des moissons, elle quittera vers Grand-Bay-Westfield au Nouveau-Brunswick, pour une aventure auprès d’une descendance encore inconnue.
Qui sait, verra-t-elle la mer? Rencontrera-t-elle des pêcheurs aux histoires drôles? Bercera-t-elle les rires des nouveaux-nés de la quatrième génération familiale depuis sa création dans l’atelier précaire de son créateur?

L’histoire de cette armoire en bois gardée précieusement au sein de la famille, nous rappelle que, tel un livre aux pages infinies, la vie dévoile des chapitres nouveaux et surprenants. Les époques se succèdent, les lieux changent, mais la valeur d’une âme capable de s’adapter et de répandre de la joie reste immuable.
Ainsi, comme l’armoire qui traverse les temps en conservant sa beauté et sa fonction, puissions-nous apprendre de son vécu. Apprendre à embrasser les changements, à accueillir chaque nouvelle étape avec courage et partager amour et réconfort avec chaque génération qui croise notre chemin.

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Tout simplement bravo Claire!!!
Merci beaucoup, avec plaisir.
elle en a vu des choses et des gens, tout au long de son parcours, …….. une histoire bien décrite, et que de souvenirs amassés ……. les meubles étaient construits avec beaucoup d’intelligence et d’inspiration, …… et fait de façon durables, ils ont donc pu parcourir tout ce chemin… pour nous laisser imaginer leur vie utile, …….Bravo à toi pour leur avoir accordé du temps pour qu’on puisse s’en souvenir
Merci beaucoup Colette. On dirait que vous avez voyagé avec elle tout au long de son parcours. C’est vrai qu’elle a été construite pour son utilité à travers les décennies. C’est un beau cadeau que la nouvelle génération va assurer sa conservation et fabriquer de nouveaux souvenirs.
Bravo Claire! Une histoire merveilleusement bien racontée.
Merci Suzelle pour ton message. Cette armoire centenaire rassemble encore la famille même après plusieurs années. La puissance de notre histoire reste un phare peu importe les directions que chacun a suivies.
La vie d’une armoire devenue une héroïne
Une armoire pratique, solide et magique
Une armoire voyageuse dans le temps
Une armoire usée serviable qui en aurait long à raconter . Tout comme les souvenirs de nos aînés , qui nous partagent une capsule précieuse de leur vie. Bravo mon amie , j’ai adoré lire le voyage de l’armoire de votre famille . ????
Je suis éblouie de voir qu’une simple armoire bâtie à même quelques bouts de bois ravivent nos âmes. Peut-être pourrons-nous regarder à nouveau autour de nous et trouver des enseignements qui attendent d’être intériorisés?