Parfois des murs de glace tombaient dans des jaillissements d’écume, et toutes ces montagnes mouvantes se transformaient incessamment. …
André Gide, Le Voyage d’Urien
Par Claire Durocher
Mes premiers icebergs, quelle joie! Des icebergs à la dérive dans l’océan Atlantique au large de Terre-Neuve. Comme si un paysage sculpté à même l’horizon venait s’échouer sur la rive frêle de l’île. Comme si un blizzard, ce grand mur de rafale et de neige, se formait sur la mer pour m’en mettre plein la vue.
Je ne suis pas habituée à cette réalité de la mer. Pourtant c’est bien réel, le littoral contraste avec le bleu de l’eau. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai cette image évasive dans ma mémoire, d’un bloc de glace géant flottant sur l’océan.
Quelque peu enjôlée par cette vision, je sens bien que c’est une accalmie volage traversant l’immobilité de l’instant.

Parfois les glaces cachent la respiration de la terre, aucune herbe se balançant au vent indiquant son soupir, sa volonté de vivre, juste une haleine froide non parfumée.
Anonyme
Au coeur de la forêt, dans le chef-lieu des montagnes patagoniennes, apparaît ce grand chef d’oeuvre de la nature. Une vision contemplative tranquille accompagnée de détonations fracassantes. Des blocs de glace se détachent du glacier par secousse dans un fracas surprenant. Ils flottent jusqu’au lac. On dirait qu’ils sont dans une apesanteur éternelle.

Je me sens un imposteur, un touriste mal poli d’assister à l’effritement de ce glacier plus que millénaire. Je voulais voir le détroit mythique de Magellan, sans me douter que j’assisterais à ce spectacle de beauté et de désolation en même temps. Quelle tristesse de voir voguer ces banquises au gré de l’inconnu. Elles ont perdu leur port d’attache.
La Patagonie envoûte et dépouille l’esprit par sa solitude matérielle. En contrepartie, elle révèle une nature sauvage dans toute sa liberté.

Les routes de glace montrent un chemin luisant à travers une végétation naine de steppes et de toundra. Le lustre de la glace fait refléter la pleine lune jusqu’au matin. Le soleil resplendit d’une lumière épaisse. Les ombres de quelques épinettes dessinent leur joie sur la chaussée. Une route de marécages, de tourbières et de rivières gelées apprivoisées par les gens du Nord.

Après une chevauchée sur la route de glace, une communauté cree montre ses secrets les plus polaires. Vivre dans la neige, dans les aurores boréales, mais aussi dans l’isolement. Il n’y a qu’en hiver que la population peut se déplacer sur les routes de glace et les convois de ravitaillement sont nombreux. D’ailleurs, tout un défi pour les camionneurs. Il faut arroser pour épaissir la glace. Les camions roulent lentement afin de former une vague contrôlée sur la rivière. À la sortie du pont de glace, la route est sinueuse pour que la vague ne se brise pas sur le rivage.
De plus, pour empêcher les vagues de se rencontrer entre le passage des camions, on aménage des routes à sens unique, de vraies autoroutes blanches à l’infini.

Ces petites agglomérations enseignent l’impact des hommes sur la planète. Faut-il voir ou juste regarder?
Les enjeux sont grands et réels dans les deux hémisphères. En Arctique comme en Antarctique, les glaces fondent, des solutions s’imposent pour toute la Terre. Dans ces communautés isolées, certains chefs tentent déjà des expériences de permaculture. Des marchés locaux sont dans la mire des administrateurs pour aider la population à se nourrir convenablement et éviter les conséquences d’une malnutrition.

Pour le visiteur, cette réalité semble folklorique. Pourtant, c’est si important d’écouter le son réconfortant du tambour, de goûter à la banique cuite sur la flamme d’un qulliq en pierre et de plonger dans la culture qui nourrit la communauté (ministère de la Culture, de la Langue, des Aînés et de la Jeunesse du Nunavut).
La planète s’exprime par la fonte des glaciers. Sa voix évoque le bonheur éphémère et la fragilité de notre demeure universelle.

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Lors de notre croisière en Alaska, nous avons eu le bonheur (ou malheur) de voir tomber un mur du glacier, tout près de notre bateau de croisière, c’est beau, émouvant et désolant à la fois, parce qu’on sait que cette banquise ne sera plus là pour bien longtemps. On sait depuis qu »elles disparaissent de plus en plus. Merci pour les photos et le beau texte ….
C’est toujours un moment mémorable d’assister à un tel événement. La Terre est vivante, donc en perpétuel changement. Le plus beau dans votre histoire est que vous avez savouré ce moment avec respect pour l’Univers.