
“Je travaille à être heureux :
Roland de Lassus
c’est le plus beau des métiers.”
Par Claire Durocher
Quelque part sur la terre, un village capture les fragrances de son environnement et les répand à travers la planète.
Des villageois se sont installés dans une petite vallée au centre d’un décor somptueux. Entouré d’arbres et de végétation luxuriante, l’endroit est un site privilégié. L’horizon commence et se termine aux monts pointus tout autour. Les maisons s’enlignent comme des gemmes précieuses dans les champs aux couleurs de récoltes. Écouter les oiseaux murmurer, sentir les odeurs typiques à la région, goûter les herbes sauvages, bref, la vie est tranquille dans ce petit hameau au nord-est de Hanoï. On y vit au rythme de la vie, de sa respiration et de sa vivacité.

Sans crier gare, j’arrive dans ce village à l’écart du bruit car aucun véhicule ne circule sur la piste. Je suis l’étranger frivole et solitaire au milieu de ce havre d’air si pur qu’il en est onctueux. Je me sens comme dans un sanctuaire, tout est calme et enveloppé de quiétude. Les enfants jouent si calmement que j’ai l’impression d’entendre leur sourire. Une fillette debout sur son énorme vélo trois fois plus haut qu’elle me frôle au passage le long du sentier menant au coeur du village. Je regarde cette vallée mythique et je sens bien que quelque chose m’échappe.
Je reconnais l’accueil bienveillant des villageois, mais c’est plus que ça. Je crois que c’est l’hospitalité des temps anciens qui opère! Comme si les ancêtres participent activement à me faire sentir chez moi. Cet endroit a quelque chose d’humain et de divin.

Depuis belle lurette, les villageois apprécient les parfums que les arbres de l’horizon lancent comme des missiles de bonheur. Un jour, ils décident de capturer la fragrance, de l’emprisonner afin de la partager avec autrui. Commence alors la fabrication des bâtons d’encens.
Ce n’est désormais plus la voix du village, mais les voix de tous les habitants mises ensemble sur la même note, comme une étincelle! La fabrication artisanale des bâtons d’encens repose sur un savoir-faire qui se transmet de génération en génération. Tous participent, des plus jeunes aux aînés. Bien vite, on apprend à couper les bûches des arbres, à les sectionner en tiges miniatures à l’aide d’une machette … Ouf, la respiration s’arrête …

Les bâtons sont coupés un à un, des centaines, des milliers de bâtons, jour après jour durant la saison des récoltes. Puis, les feuilles odorantes sont séchées au soleil sur de grandes surfaces, on dirait des mers brunâtres au pied de magnifiques pics montagneux. Elles sont moulues en une fine poudre. Comment coller cette poudre aromatique au bâton? La résine de l’arbre est la championne des colles.
Une fois moulues, les feuilles sont trempées dans un mélange de résine et d’eau, puis apposées au bout de la tige. Voilà le bâton d’encens prêt pour les incantations aux dieux, aux défunts. Un produit fait entièrement avec des ingrédients locaux et fabriqué de mains de maîtres, par les villageois eux-mêmes.

Bien qu’elle semble archaïque à mes yeux d’Occidentale, cette méthode artisanale permet la vente du produit à travers le pays pour les célébrations locales. Et, plus encore, les bâtons sont exportés à travers la planète. Une entreprise d’exportation au coeur de cette vallée d’odeurs ! Ainsi, chez moi de l’autre coté de l’océan, lorsque je brûle un bâton d’encens, c’est comme si j’étais assise à l’orée du bois à humer la même fragrance que les villageois. C’est comme un partage de la même spiritualité à la grandeur de l’Univers. Peu importe, les mots, les noms religieux, on a tous un silence respectueux envers ce parfum qui apporte sa paix et son invitation au respect.

L’offrande de l’encens fait partie du patrimoine culturel des Vietnamiens depuis des millénaires. D’ailleurs, la fusion de l’encens et de l’être humain existe depuis l’Antiquité. Elle est présente des civilisations précolombiennes aux civilisations gréco-romaines, des périodes pharaoniques aux temps des anciennes dynasties de la Chine. De tous les parfums, l‘encens a indéniablement un passé rempli de noblesse. Certains peuples considéraient même l’encens comme plus précieux que l’or.
Pourtant, ce n’est qu’une matière résineuse brûlée, mais elle est un symbole dans les rites religieux et les hommages aux défunts. Au Viêt Nam, l’encens est utilisée dans les temples autant que sur la table d’offrandes que possède chaque demeure. La fumée qui s’en dégage établit un lien entre les vivants et les défunts. Le culte commence par l’allumage des bâtons d’encens sur la table. Ensuite on prend au minimum trois bâtons entre les deux mains durant la prière. Ils sont ensuite replacés sur la table des ancêtres.
Au Viêt Nam, durant les fêtes du Têt, les temples du pays débordent de bâtons de cet encens végétal.

Plus largement, l’encens a aussi une fonction purificatrice: les pensées et les émotions sont purifiées à travers l’usage de l’encens. La fumée de l’encens qui monte vers le ciel est comme un corridor entre les dieux et la terre, comme une main tendue entre l’ancêtre et le vivant. De plus, l’encens apporte recueillement, calme et action spirituelle. On sent qu’il y a quelque chose de vivant dans ce rituel.
Aujourd’hui, plusieurs l’utilisent pour ses propriétés pharmaceutiques. D’autres l’intègrent à leur décor et mode de vie nommé zen.

Sur YouTube, il y a une vidéo illustrant la fabrication artisanale des bâtons d’encens. Clic de souris sur :
Phia Thắp, Cao Bằng – Quy trình làm hương

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