Par Claire Durocher
Il y eut jadis dans la mémoire du temps, un matin qui se promenait au vent. Le vent est tombé. Le matin s’est affaissé sur la terre, a réveillé l’homme, les animaux et la nature. Tout était désordonné, inhabituel.
Une tasse de café lisait son journal assise à une table de Snack-bar. Un parapluie prenait un bain de soleil à côté d’une fontaine. Un homme prit sa tête entre ses deux mains, la fit rouler sur elle-même, la dévissa, puis la lança à un joyeux promeneur escargot. L’escargot prenait sa marche journalière en compagnie d’une tortue intellectuelle tout en discutant de l’ère atomique, de l’ère de la vitesse…
Un autre homme attiré par l’attraction terrestre inventa l’attraction magnétique du corps humain. Il camoufla un ressort sous la peau de son cou, ainsi sa tête pouvait retentir très haut dans les airs et revenir. Une girafe qui passait par là, croyant à un jeu de girafe, prit la tête dans son instinct et la transposa en yo-yo, ce qui l’amusa beaucoup.
Les choses étaient véritablement bizarres ce matin-là comme si tout restait accroché indéfiniment.
Les paons descendaient en parachute vers la caverne aux squelettes. Le contraste porta un coup fatal aux canards qui se promenaient sur la rivière du côté droit de la caverne. Distraits par cette monstruosité, ils perdirent ou oublièrent le contrôle de leur vie et se noyèrent.
Des canards noyés. Des tortues écrasées. Des dents en couleurs, il y en a une spéciale pour chacune de nos nombreuses sorties. Oui jolis hippopotames, épatez vos amis, établissez des comptoirs de commerce sur les rives du ridicule avec les phoques de l’Arctique.
Le matin était maintenant à son plus bas niveau.
Les arbres se penchaient pour ramasser les fourmis, puis, remontaient et redescendaient remettre les fourmis à la terre. Les fourmis croyant avoir fait un tour d’avion étaient heureuses. Elles maudissaient les hyménoptères ancestraux et s’arrachèrent les ailes qu’elles offrirent aux arbres. Les arbres se décorèrent des ailes et invitèrent les oiseaux à un grand festin de printemps. Les oiseaux se rendirent en grand nombre et remirent aux arbres une plaque commémorative faite de glaise et de paille sur laquelle était écrit: Arbres vous êtes attrayants avec vos ailes, mais elles ne pourront pas vous permettre de voler comme nous. Comme elles abriteront les ombres lors de leur vernissage avant la pluie, le nom de feuille leur conviendrait davantage. Et le sorcier des fourmis sortit de sa tombe, il s’éleva dans l’atmosphère et traça dans le ciel:
Une feuille est une aile de fourmi ailée, mais une aile n’est pas une feuille. Cependant une aile à l’apparence d’une feuille
feuille de pommier
feuille de papier
feuille de tôle
feuille de chou
feuille morte
feuille de route
feuille d’acanthe
Romain en feuille
feuille blanche
feuille feuillée
feuille feuilletant les températures du mois
feuille à roman feuilleton dégustant à l’entracte un mille-feuille feuilleté.
L’image du roman-feuilleton réapparaît. Il raconte l’histoire de deux feuilles qui se préparent à leurs fiançailles. Elles iront demeurées dans une feuillure située au coeur d’une écorce d’arbre brisée par les castors, car elle trempe dans un marais éclairé par un brouillard. Les feuilles vivront éternellement au son d’un feulement d’un tigre ou d’un chat ou d’un tigre-chat qui suce ses orteils en pensant aux mille-pattes.
mille-pattes et mille-feuilles
mille et une nuits
Les élucubrations d’une nuit d’amour d’un pou et d’une puce qui éclatent de joie. Le pou a mis sa barbe rousse et la puce monologue comme un orgue d’église. La cloche descend de son piédestal, se dérobe en cachette et savoure un cornet de crème glacée. Il y a tellement longtemps qu’elle en avait envie. Des voix célestes des esprits des vaches encore endormies au creux de la crème résonnent… si doucement, si calmement qu’elles projettent dans l’extase les amoureux.
Les tambours n’en reviennent pas. Une femme aux yeux clairs et à la voix plumante et plumée (Mme Plume) fredonne: Mon coeur est un violon… Le violon se crispe, se distord, il est tout crochu, il sent des étirements inharmonieux dans ses orteils. Il allume la lumière à côté de son imagination et les voix célestes reviennent.
la sérénité, la candeur
les vol-au-vent
les croque-monsieur
Deux pinottes dansent sur une corde, tom tom tom
Promenade des répercussions sonores tom tom tom
à travers les âges, à travers l’espace
à travers une roue de moulin à vent
Le vent sursaute, s’affole, court ici et là, puis glisse dans le ciel. Un ange lui pince le nez wouin wouin wouin. Il perçoit des frétillements sur sa langue, c’est comme des fourmis entre les dents. Il tremble, il a peur, puis il se met à souffler, d’abord craintivement, puis de bon coeur. Une satisfaction intense lui fait monter le sang à la tête. Il a le goût de rire, il est heureux. Il voit le blé se balancer les hanches dans les champs, les routes défilées à l’infini emportant la nature, les animaux et les hommes au large de la terre, laissant derrière des petits trains de bonne humeur.
bon train
entrain
en train
train de vie
train d’atterrissage dans l’au-delà inconnu
train de passage dans le monolithe de cristal
Le vent fait du train en déboulant dans l’autrefois. Le matin revient au vent. C’est la victoire triomphale du victorieux vainqueur de victoires triomphales, The curse of Baba Yaga.
Les oeufs éteignent leur couleur, toute la matière en fait autant et, les mains sur les genoux, les yeux mi-ouverts, ils regardent: le soleil se lève dans toute la splendeur de ses couleurs d’aurore boréale. Le matin renaît.
Il y eut un soir, il y eut un matin.
À la mémoire de Jacques Prévert qui a été ma boussole littéraire des premiers jours.
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