Par Claire Durocher
Mystérieuse, intrigante, la Terre de feu, déjà son nom apporte mille questions.
Les Selk’nam allumaient de nombreux petits feux pour aviser du danger éminent de voyageurs s’approchant de leurs terres. Ces petites lumières étaient comme un ciel étoilé. Les explorateurs lui donnent donc le nom de Terre de feu. Le périple en bateau dans cette zone australe est long et périlleux, ce spectacle illuminé laisse croire qu’on a peut-être traversé dans l’au-delà. La route des épices, c’est peut-être ça.
Je vois des câbles le long des trottoirs aux intersections des rues. Le réceptionniste de l’hôtel explique le plus naturellement du monde que les câbles sont étendus lors de vents violents pour empêcher les piétons d’être projetés dans les rues. Fallait y penser.
Je ne prends pas de chance, je décide de manger avant le départ. Direction resto local. J’ai appris une base de la langue espagnole avant le voyage, question d’être autonome. Toute confiante, je commande un sandwich malgré la réticence de la serveuse. Ayant omis d’apprendre le mot oignon, je me commande un sandwich aux oignons. Une chance que le cuisinier, plus futé que moi, a la gentillesse d’y mettre une épaisse couche de guacamole. Ouf sauvée pour cette fois.
Un trajet de 50 kilomètres dans le détroit de Magellan est nécessaire pour arriver à l’archipel de la Terre de feu. Les bourrasques de vent sont fortes. À l’embarquement, il faut déjà avoir les deux pieds bien ancrés au sol pour ne pas s’envoler.
Le bateau me semble minuscule alors que nous nous préparons à naviguer sur les eaux capricieuses du détroit. Un passage maritime maudit par les marins. J’avance lentement sur la boue qui colle à mes bottes. J’hésite, et j’embarque.
La traversée va bon train quand tout à coup l’eau devient noire. Les vagues frappent les hublots. Les eaux prennent le contrôle du bateau. L’inclinaison du bateau qui se colle aux vagues est d’une frayeur épouvantable. C’est le silence à bord. On attend la fin de la traversée pour montrer notre bravoure.
Sûrement le même sentiment que les marins les plus aguerris, combien il est doux de revoir le ciel. Combien est douce la vue de la terre sise sur les rives des eaux paisibles.
Encore un petit coup de frayeur, l’intensité remonte d’un cran. À peine touché le sol, je reçois les instructions en cas de tsunami. Je hais mon intrépidité si avide de découvrir le monde.
Les arbres résistent aux bourrasques, mais certains ont la cime quelque peu ébouriffée.
Une partie de la route est en béton. Une solution dispendieuse qui s’avère plus économique compte tenu de sa durabilité, soit une trentaine d’années comparé à une douzaine d’années pour l’asphalte. Sans compter la valeur plus écologique du béton.
À voir la tête des guanacos, on dirait bien que c’est nous les «étranges» sur cette terre australe. Ces animaux sauvages vivent en toute liberté avec les cheptels de moutons des propriétaires terriens.
Les Européens envahissent cet emplacement durant la ruée vers l’or. À l’époque, les habitants vivent de plantes comestibles et de mammifères marins. Aujourd’hui, la ville se cherche une identité dans son nouvel apparat. Port de pêche, élevage et tourisme font office de vie dans la communauté.
Les premiers habitants, les Selk’nam, revendiquent leurs droits à leur patrimoine. Lorsque le Chili prend le pays des mains des Espagnols, le gouvernement chilien donne des concessions aux chercheurs d’or et aux éleveurs de moutons étrangers sans tenir compte des Selk’nam. De plus, des objets reliés à leur spiritualité sont vendus aux touristes sans égard au respect de leurs croyances.
En 2010, une centaine de manchots royaux arrivent de façon inattendue dans la baie Inutile. En 2013, c’est la naissance des premiers poussins, et en 2015 c’est l’indépendance du premier poussin à prendre le large. Cecilia Duran met sur pied la réserve naturelle Pinguino Rey afin de protéger l’espèce. Elle établit des règles strictes pour les visiteurs dans le but de conserver l’écosystème du secteur. Et dire que les explorateurs appellent cette baie du nom de Inutile. Selon eux, l’endroit est si aride qu’il ne sert à rien.
Quel nom original pour une localité. Tout de suite, je m’imagine dans une fiesta. Erreur, je suis en état de choc de voir pareilles infrastructures au milieu de la steppe. La compagnie nationale de pétrole construit ces infrastructures pour ses travailleurs. Toutes les commodités des grandes villes pour inciter les gens à venir travailler pour l’entreprise.
Plusieurs espèces, dont des nandous, vivent au milieu des graminées de la plaine dans les alentours. Un peu plus loin dans la baie de Lomas, plus de 60 000 oiseaux s’y rassemblent pendant la saison d’hivernage.
Incroyable, j’ai vécu l’Antarctique chilien. Ma détermination inébranlable m’a amené à vivre ce rêve d’enfance de voir le bout du monde. J’ai affronté les vents. J’ai marché dans les landes. J’ai rencontré les manchots.
Ma sensibilité a été mise à l’épreuve à voir combien le savoir-faire des peuples autochtones et les écosystèmes peinent à être prioritaires dans les conquêtes de l’homme.
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merci de partager tous ces mots et photos, ….on voyage un peu avec toi
Avec plaisir.