Par Claire Durocher
L’accueil est paisible et saisissant. Les premiers pas en terre vietnamienne sont étranges. Ce pays représente la guerre de mon enfance et les manifestations pour la paix. Mes valeurs sont bâties à même cette honteuse histoire du géant américain. Le Viet Nam s’est défendu longtemps contre différents envahisseurs. Les Vietnamiens ont tenu le coup.

Je les rencontre enfin ces personnes de ma jeunesse. L’émotion est vive de jaser avec un individu, un enfant de la guerre des années 70, qui a survécu. Fallait l‘entendre me dire que le passé est le passé, et que maintenant l‘heure est au présent où il n‘y a pas d‘ennemis. Les gens sont conscients des polémiques des champs de bataille, mais eux, leur champ d’honneur est d’être grands dans leur âme et dans leur force de vivre.
J’apprends leur désir d’accéder au savoir individuel et collectif. Donner priorité aux connaissances globales du corps et de l’esprit par la scolarisation, l’apprentissage et l’expérience. Une approche différente des Occidentaux pour qui, souvent, l‘éducation vise un emploi bien rémunéré.

Un matin, je me rends au marché des producteurs agricoles avec une dame. Elle m’explique de choisir les petits légumes car ils ont probablement moins de produits chimiques. Puis, je la suis chez elle pour préparer le repas du Têt, repas du Nouvel An.
Une maison ancestrale dont les murs respirent tant de vécu! Je prépare les plats, j’apprends à faire de petites sculptures avec les légumes, une tradition vietnamienne. Finalement, le gâteau du Têt fait d’une pâte de riz, de pois et de porc enrobés dans une feuille de vigne. Le gâteau est ensuite bouilli pendant plus de 8 heures.

En cuisinant, la dame me parle de son pays. Elle m’explique les pièces de la maison. Chacune a une signification. Dans la première pièce à l’entrée, il y a une table recouverte de noix et de fruits séchés pour les inconnus. Si l’invité est plus intime avec la famille, il peut passer dans la cour extérieure au centre de la maison et prendre le thé. Lorsque l’invité est un ami, il peut se rendre jusque dans la cuisine à l’arrière. Je réalise le privilège d’avoir cuisiné avec cette dame et d’avoir partagé des coutumes du pays.

J’ai Hanoï tatouée dans la peau. Je quitte maintenant vers le nord-est, la montagne, le paysan, le riz, le cochon, les poules, les coqs. Le paysage est exceptionnel, un amalgame de couleurs, de textures et d’humanité. Aucun peintre ne pourrait peindre cette immensité qu’est la montagne, aucun écrivain ne pourrait décrire l’intensité du paysan. Qui saurait dire le bonheur des gens que j’ai rencontrés.
Les longues marches dans l’arrière-pays du Viêt Nam du Nord sont viscérales. Des communautés avec des structures sociales parfois élaborées, parfois déficientes, mais toujours fonctionnelles. Faut voir comment des gens vivent sans aucun produit de consommation, seulement la communication entre eux et la terre. Quelquefois la montagne est bonne et donne de l’eau. Quelquefois les pierres sont dures et arides, mais on trouve le moyen de planter un grain dans le sol. La Terre nourrit chacun de ses habitants.

Dans cette vastitude, des familles m’accueillent à bras ouverts pour danser et m’apprendre à jouer du tambour. Certaines chansons sont plus sombres, ce sont celles des camionneurs qui, durant la guerre, transportaient les vivres pour nourrir les habitants cachés dans les collines. Les ruines de guerre sont dans les coeurs. Dans une danse, les Vietnamiens m’enseignent que la paix est universelle et que tous les peuples doivent vivre dans le respect des différences. Ouf! c’est un grand soir!!!!!
Une personne me fait l’honneur de me montrer la chanson de libération du Viêt Nam en vietnamien. Elle devient mon langage de communication avec les personnes sur ma route.

Souvent au coeur d’une vallée, je vois un édifice jaune, symbole du soleil et de la vie comme l’étoile sur le drapeau. C’est une école que le gouvernement a fait bâtir pour chaque communauté. L’objectif est que les enfants aient le savoir et aussi pour uniformiser la langue vietnamienne à travers le pays. Certaines communautés viennent à peine d’être découvertes et les dialectes sont monnaie courante.
Les rires des enfants m’habillent d’un bonheur palpable.

S’aventurer dans les montagnes apporte du jamais vu. Combien il est magique de dormir sur un plancher de lattes de bambou entortillé dans un filet contre les moustiques. Même si, il n’y a pas de moustiques, il fait trop froid.
L’air est rafraîchi par des fentes dans les planches des murs. Il y a même un feu de camp dans la chambre, directement sur le plancher.

Un matin, c’est la fête dans un village éloigné. Tous les convives traversent en file indienne sur un pont fait de trois tuyaux de bambous. Mais, une heure plus tard, impossible de revenir, l’eau est montée et le pont n’est plus assez long, il faut donc faire un bout à la flotte.
Quelle marche solennelle. Les ethnies dans leur costume traditionnel de toutes les couleurs sont comme des feux d’artifices qui jaillissent partout sur le flanc de la colline, au milieu des rizières ou dans les hautes étendues des terrasses. Une marche immatérielle à la rencontre de personnes attachantes dans leur façon de me charmer, de communiquer avec les yeux et les mains car, pour le vocabulaire, même un interprète en perd son vietnamien.

Parfois, je suis au sommet de la montagne, au‑dessus du nuage sans voir la terre. Aucun paramètre, comme un abîme mais à l’horizontal. Seule réalité est le grésille qui me trempe jusqu’aux os.

Le riz est apprêté de manière très variée : galette de riz, riz de papier, riz en nouilles et le traditionnel riz à la vapeur. Trois repas de riz par jour avec des allures de nouveautés à chaque fois. Au menu, un soir de Jour de l’An, salade de fleurs de bananier, bambou frais cueilli et escargots de rivière, un vrai délice.

D’heure en heure, de jour en jour, cette marche sans fin dans les montagnes me montre ces communautés accrochées aux montagnes comme des oiseaux. Pas de révolte, pas de jugement, que la vie. Semer son grain de riz, le manger en famille et le partager avec le voyageur de passage. Je suis sans mot. Il me semble qu’il n’y a pas de conquêtes souhaitées de ce qu’on n’a pas. Comme si les rêves se réalisent un jour à la fois.

Il faut être témoin de la façon des Vietnamiens de s’entraider, de partager les tâches du quotidien entre hommes et femmes. Dans le village, tout le monde travaille ensemble, c’est une vraie communion. Le respect des anciens tient une place importante dans la communauté et l’aïeul est accompagné jusqu’à la fin de sa vie. Même au milieu des champs, il y a souvent des espaces non touchés en souvenir d’un ancêtre enseveli sur les lieux.
Je revitalise mes valeurs et mes croyances auprès des personnes qui croisent ma route. Je me souviens de toutes ces nuits auprès des familles avec au réveil des montagnes fleuries à nous faire croire au jardin d’Eden.
