“Quand atteindrons-nous un niveau de spiritualité qui nous rendra capable de discerner la Vérité pour s’épanouir heureux sans faire de guerre”

Auteur inconnu
Rapides sur une rivière

Par Claire Durocher

1970, l’Année de quitter la maison familiale pour vivre autre chose. L’Année des choix de vie, des rencontres sociales. L’Année de l’affrontement intérieur avec ma réalité d’adolescente dans un environnement protégé à la jungle de la vie urbaine. Un saut de la campagne à la ville. Un matin de septembre 1970, je deviens citadine.

C’est l’Année des rassemblements populaires, des confrontations ouvriers-patrons sur la place publique. Je m’éloigne un peu de ces combats qui furent miens au secondaire pour voir autre chose de la vie. Chaque matin, je me rends au terminus d’autobus pour écouter les conversations des voyageurs. Un terminus de quartier qui a tant à raconter. J’apprends tout de la vie urbaine, des familles, du travail d’usine (à l’époque, l’industrie du textile est florissante dans cette ville ouvrière).

J’essaie de découvrir le loisir. Je me vois encore dans ces brouillards d’automne où la brume est si dense qu’elle dessine des ombres incroyables avec la faible lumière des réverbères. C’est l’Année du film Un amour de coccinelle qui me fait rire aux éclats. C’est le début de mon aventure en tant que personne autonome.

Pompes à essence de nuit

Je marche et j’erre autour de chez moi, du terminus jusqu’au Cégep, la routine du parfait étudiant. Mais, un matin, sur le chemin, je fais face à des chars d’assaut… la crise d’octobre… diront les journalistes. J’ai peur car je n’ai pas accès à l’information. J’ignore qu’il y a eu l’enlèvement de deux hommes politiques. Les rues ont l’air d’un coup d’état, c’est ahurissant, invraisemblable. Je vois des soldats embarquer des gens de façon aléatoire, il me semble. Je me demande si je serai choisie parmi les personnes arrêtées. Je marche rapidement vers le Cégep pour respirer et me sentir en sécurité.

Cet événement me touche, ce n’est pas à la télé, c’est sous mes yeux. Je suis un acteur de cette actualité si inaccoutumée au Québec. Je retombe vite dans mes aspirations d’antan. Je reprends goût à la politique, mais cette fois avec un point de vue de société. Je lis des livres sur la formation des sociétés, comment les individus se retrouvent dans telle sphère de classes sociales et autres. Je décide de partir pour Jonquière au Lac Saint-Jean suivre un cours de communications. Je ferai partie de tous les événements sociaux et ce, en première loge en tant que reporter.

Une jeune femme lit

Je prends le train à la gare centrale de Montréal avec mes chaudrons et mes souliers accrochés pêle-mêle à mon sac à dos. J’ai toute ma maison sur moi. Je porte deux manteaux que ma mère m’a cousus, il fait si froid là-bas. Une journée de janvier, le froid est si glacial et l’air est si sec que je m’évanouis au coin d’une rue. Je me réveille couchée sur le plancher du dépanneur de quartier.

Mon entrée au Cégep de Jonquière a presque des allures de colonisation. Comme c’est le seul endroit de la province à offrir le cours de communications, les étudiants viennent des quatre coins de la province. On est tous des arrivants tentant d’apprendre les rudiments du Nord pour notre survie. Un mécanisme d’entraide s’installe automatiquement. L’hébergement et la nourriture font partie des biens partagés. J’ai 500$ de prêt d’étude et 500$ de bourse pour mon année scolaire. Je passe des examens où je dois reconnaître des personnes sur des photos. Je dois nommer les noms du quart‑arrière de l’équipe de football du des États-Unis au ministre des Affaires culturelles de l’Inde. C’est inouï, la planète devient mon téléroman quotidien.

Un couple regarde une chute d'eau

Cette masse d’information m’amène à un questionnement qui va me suivre toute ma vie: où est la Vérité. Je développe presqu’une obsession pour la Vérité. Durant mon cours de journalisme, la Vérité est ma bible.

Comment reconnaître la Vérité

Rapporter la Vérité

S’en tenir aux faits

Faire preuve de discernement

Prendre une parole pour une Vérité

Se rappeler que chaque parole est juste une opinion

Prouver l’authenticité

Préserver l’objectivité

Connaître avec certitude

Affirmer avec conviction (trompeur car ça ressemble à une Vérité)

Établir une croyance

Découvrir l’exactitude

Démêler les faits

Entrevoir l’évidence

Identifier les lois

Lire les prophéties

Reconnaître le vrai

Révéler l’oracle

Voir la réalité

Être au fait des découvertes de la science

Savoir reconnaître la loyauté, la franchise

Saisir le réel et la vraisemblance

Article de journal avec vue de la salle de rédaction

Une bataille, une recherche qui m’apporte que désillusion car je comprends vite que la Vérité pure n’existe pas. Même d’être le témoin d’un fait n’en fait pas nécessairement une Vérité. On comprend ce qu’on voit avec nos connaissances, nos expériences, nos émotions. Dans un reportage sur un incendie, je dis : les pompiers sont arrivés en seulement 10 minutes. Mon professeur de m’expliquer : 10 minutes c’est un exploit pour l’administration municipale, mais un désastre pour les victimes dont la maison a brûlé en 10 minutes.

Tant de choses font obstruction à la Vérité. Il faut se méfier de l’insatisfaction, du désir, des attachements, de la compréhension qui teinte le point de vue de ce qu’on voit et de ce que le lecteur comprend. Il faut rester alerte pour différencier la Vérité. Mais le plus triste pour moi est la déchéance de ma profession alors que le journalisme si important comme véhicule d’information devient de la Doctrine. Les médias peuvent faire croire ce qu’ils veulent lorsqu’ils s’unissent et orientent l’opinion publique vers telle cause ou contre telle cause. C’est une inconduite face au code d’éthique de la profession. Le comble de cet effondrement est que beaucoup de citoyens aiment les journalistes vedettes. Ils reprennent leurs mots sans même se questionner. Ça devient facile, une opinion instantanée que l’on peut répéter au travail, au restaurant.

La doctrine s’enracine, les proArcand, les proLépine… La décadence atteint son summum lorsque les électeurs du Québec sont prêts à élire un magna des médias de la province à la tête du gouvernement.

Ancienne clôture de bois

Je devrais peut-être me rallier au fait que dans ce monde de turbulences, la seule Vérité qui fait du bien est celle que l’on ressent, celle de nos émotions. Malheureusement, ces émotions ne sont plus vraiment les nôtres, elles sont celles d’autrui. Elles sont à l’image de ces héros inventés jour après jour. Ceux qui sont restés fidèles, les John Lennon et compagnie, sont victimes d’accidents douteux et de meurtres.

Pont étroit avec armure de métal

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5 Comments

  • Jacques Robert dit :

    Très belle photo. C’est chaleureux et ça fait revivre le bon temps. J’aime le noir et blanc, ça apporte une autre vision des choses.

  • Colette Bellefleur dit :

    Tu nous fait retournés en arrière et vivre les premiers moments de notre vie adulte, sans savoir où cela nous amènera, peut importe le chemin que chacun empruntera, …. beaucoup de souvenirs de temps là

    • Claire Durocher dit :

      Les grands esprits se rencontrent! J’avais la même émotion quand j’ai écrit ce texte. C’était notre époque de rêves et de conquêtes dans un monde que nous commencions à découvrir. Merci pour votre partage, ça rend le moment encore plus significatif.

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